Emely

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Anasteria tomba de nouveau au sol dans un grognement de douleur. Elle avait du mal à reprendre son souffle et son flanc commençait à saigner abondamment. L’esprit quant à lui restait prisonnier de la puissance d’Emely. Anasteria ne parvenait même plus à se relever. Elle avait essuyé tant de coups que son corps atteignait sa limite. Et Emely le savait.

 

— Alors, Anasteria… Prête à me suivre ?

 

Anasteria serra la poigne de sa lame flamboyante. Elle ne pouvait pas abandonner si facilement. Mais si son esprit ne voulait pas abdiquer, son corps, lui, ne suivait définitivement plus. Au prix d’un effort considérable, elle parvint à se redresser un peu, prenant appui sur son genou. Elle fixait avec hargne son ennemi.

 

— Ne fais pas cette tête, reprit Emely, on va devenir les meilleures amies, j’en suis sûre.

— Ne compte pas là-dessus, siffla Anasteria.

— Arrête de râler.

 

Emely effectua un pas vers elle. Soudain, un immense bloc de glace la percuta dans son flanc. Surprise, elle ne put le contrer et se retrouva projetée sur plusieurs mètres. L’emprise qu’elle avait sur l’esprit de feu se relâcha aussitôt. Anasteria mit quelques secondes à comprendre la situation. À quelques mètres de là, Ivona se tenait aux côtés de Johan. Est-ce qu’elle rêvait ? Ivona venait de la sauver ?

 

— Ana !

 

Johan se précipita vers elle. D’un pas plus mesuré, Ivona le suivit, mais garda son attention tournée vers Emely qui se relevait péniblement.

 

— Tu saignes ! s’exclama son ami.

— C’est juste une égratignure, gémit Anasteria. Je vais bien.

On doit partir, maintenant !

 

Ivona regarda l’esprit de feu. Et Anasteria se doutait qu’elle avait beaucoup de questions, mais elle n’en posa aucune.

 

— On doit trouver Laurène, intervint Johan. On ne peut pas partir sans elle.

 

Anasteria grimaça et baissa honteusement la tête. Avec le combat contre Emely, elle avait presque oublié tout ceci...

 

— C’est… C’est trop tard pour elle, avoua Anasteria.

— Quoi ?

 

Anasteria pointa en silence le cadavre de l’abomination encore empalé. L’effroi se lisait sur le visage de ses amis, et Anasteria détourna le regard, honteuse.

 

— Je suis désolée, murmura-t-elle. Je n’ai pas eu d’autres choix.

— Non, chuchota Johan. Non, ce n’est pas possible. Ce n’est pas possible…

— Comment… ? souffla Ivona.

 

Une puissante déflagration émana soudainement d’Emely, mais Ivona parvint grâce à ses réflexes à créer une barrière devant eux, encaissant ainsi le choc. Emely esquissait toujours son sourire arrogant, et Anasteria n’en pouvait plus de la voir si suffisante.

 

— Ah, les deux inutiles sont enfin arrivés, lâcha-t-elle. J’avoue que je m’attendais à ce que le Méridien vienne. Mais je suis surprise de voir la pâle copie de Voxana ici. Pas trop dur de ravaler ton immense égo ?

 

Ivona ne laissait pas transparaître ses émotions suite à la remarque d’Emely. Elle se contenta de la fixer et de guetter le moindre de ses mouvements, prête à réagir.

 

— Qui es-tu ? demanda-t-elle.

— C’est elle qui est responsable de tout ça, expliqua Anasteria. Elle a changé Laurène.

— Je ne l’ai pas changé ! plaida Emely. Je ne pouvais pas deviner que votre ridicule amie était faible au point de ne pas supporter mon cadeau.

— Espèce de... siffla Johan.

— Johan ! intervint Ivona. Reste concentré. Ne rentre pas dans son jeu.

 

Johan grimaça, mais il hocha doucement de la tête. Ivona avait raison, il devait demeurer calme pour ne pas être consumé par les énergies magiques. Étrangement, la réponse d’Ivona fit sourire de plus belle Emely qui jouait avec ses lames.

 

— J’aurais bien dit que je suis impatiente à l’idée d’affronter la fille de la grande mage Voxana, mais je sais déjà à quel point cela va être décevant. Tu n’as même pas un esprit. Tu parles d’un prodige.

 

À la surprise d’Anasteria, Ivona sourit à son tour.

 

— Si c’est supposé m’énerver ou me blesser, tu vas devoir faire bien mieux. Ma mère fait bien pire depuis que je suis enfant. Johan, soigne Ana.

 

Ivona ne laissa pas Johan répondre et créa une myriade de petits pics de glace qu’elle envoya en direction d’Emely. Johan se pencha sur Anasteria, et n’hésita pas un instant. Il posa sa main sur la blessure ouverte et Anasteria grimaça de douleur. Heureusement, quelques secondes plus tard, une douce lumière jaune enveloppa la main de Johan et la plaie se referma lentement. L’attaque d’Ivona n’avait rien donné, et Emely avait absorbé le sort avec l’aura de son ombre. Cela ne stoppa pas l’étudiante dans son assaut. La magie irradiait autour d’elle, mais elle faisait preuve d’une concentration comme Anasteria l’avait rarement vu avoir. Tous se matérialiser selon sa volonté avec une telle aisance : un pic de roche, une rafale coupante, une boule de feu. Ivona montrait toute l’étendue de son talent, mais cela ne suffisait pas. Emely ne lui laissait aucune erreur et parait tous les coups. Dès que la douleur fut supportable pour Anasteria, elle se jeta de nouveau dans le combat. Elle ne maîtrisait pas la magie aussi bien, certes. Mais le combat rapproché n’avait presque qu’un secret, et cela suffit à laisser quelques ouvertures à Ivona. Le sourire d’Emely s’effaça, mais elle parvint à gérer les deux fronts. Ses épées lui permettaient de parer Anasteria, et son ombre semblait dotée d’une volonté propre et répondait aux attaques d’Ivona. Johan n’était pas en reste non plus. Si ses prouesses en magie n’égalaient pas Ivona, il était cependant décidé à l’aider. Ses sorts assaillaient l’autre flanc d’Emely et elle se trouva bientôt submergée. Un pic de terre lui arracha un bout de chair au niveau de ses côtes. Une boule de feu brûla son avant-bras, et la lame d’Anasteria entailla sévèrement sa cuisse.

Anasteria pensait sincèrement que c’était le point de bascule de la bataille. Qu’ensemble, ils avaient une chance de gagner face à elle. Mais elle ne se doutait pas une seule seconde des pouvoirs d’Emely. Son sourire avait totalement quitté son visage et soudain, elle hurla. Son cri ne possédait rien d’humain, et s’accompagna d’une violente déflagration d’énergie noire, repoussant facilement les trois adolescents. L’ombre derrière elle gagna en intensité et son aura recouvra chaque parcelle de peau blanche. Elle ne faisait littéralement plus qu’une avec son ombre, et rien chez elle ne laissait deviner sa véritable nature humaine. Son sourire carnassier créa un frisson dans l’échine d’Anasteria.

 

— Ce n’est pas une sombremage, murmure Ivona. Sa fusion ne ressemble pas à celle des autres.

— Madame, je sais tout, rétorqua Emely. J’aurais dû m’occuper de toi plus tôt. Mais, je peux toujours rattraper cette erreur.

 

Sur ces mots, elle se précipita sur Ivona. Elle eut tout juste le temps de bâtir un bref bouclier avant que la charge d’Emely ne la percute de plein fouet. Sa célérité laissa Anasteria complètement abasourdie, et elle ne put que fixer le corps d’Ivona projeté sur plusieurs mètres.

 

— Je vais tuer chacun de tes petits amis, Anasteria, menaça Emely. Un par un. Ils vont souffrir, et je te ferais regarder chacune de leur mort. Et lorsque tu seras totalement brisée, je ramènerais ton corps sanguinolent au Patriarche.

 

Le cœur d’Anasteria se glaça. Elle devait agir, mais elle savait pertinemment qu’elle ne possédait pas la puissance nécessaire, pas toute seule.

 

— Esprit, ordonna-t-elle. Donne ta force.

Quoi ? Non ! Ce n’est pas une sombremage, c’est une ténèbrae.

— J’en ai rien à foutre de ce qu’elle est. Je ne vais pas laisser Ivona mourir. Soit tu m’aides, soit je me débrouille toute seule.

Tu n’es pas prête pour une fusion.

— J’en ai rien à foutre, répéta-t-elle. Tu es mon esprit non ?

 

Le cri de douleur d’Ivona coupa leur conversation. Elle venait d’être projetée une nouvelle fois par Emely, et elle peinait à se relever. Anasteria vit qu’Emely s’avançait vers sa cible pour en finir. Et Johan était paralysé par la peur. Elle n’avait plus le choix. Elle fonça en courant vers Ivona. Et soudain, elle entendit une voix murmurante à l’arrière de son crâne.

 

Ryse.

— Ryse ? répéta-t-elle.

 

Et aussitôt, elle sentit une chaleur envelopper sa peau, se propager dans ses veines et crépiter au bout de ses doigts. Sa vitesse devint aussi impressionnante que celle d’Emely. Elle parvint à se mettre devant Ivona avant l’impact et elle tendit sa main gauche. Une seconde après, un torrent de flammes incontrôlable se déversa sur Emely. Elle hurla de douleur et recula. Mais Anasteria ne pouvait arrêter le sort. Les flammes remontèrent sur son bras, et consumèrent sa peau qui partit instantanément en fumée. Jamais elle n’avait ressenti une telle douleur et cria de toutes ses forces alors qu’elle tomba lourdement au sol. Finalement, elle sentit Ryse se séparer d’elle pour stopper le brasier, mais cela n’arrêta pas la souffrance.

 

— Ana ! s’exclama Ivona.

 

Tout commença à devenir confus pour Anasteria. Elle sentit du froid envelopper son bras, et comprit qu’Ivona mettait de la glace dessus pour calmer la brûlure. Elle n’osa pas constater le résultat et préféra se concentrer sur les contours flous du visage d’Ivona. Cette dernière reporta toute son attention sur Anasteria qui gémissait de douleur et luttait pour garder les yeux ouverts. Galvanisé par un nouveau courage, Johan fonça vers Anasteria et Ivona. Il regarda le bras d’Anasteria où se trouvait désormais de la chair à vif brûlée. Il grimaça face à l’odeur et murmura :

 

— Oh bordel. C’est grave.

 

Il n’hésita pas un instant et tenta un soin pour soulager comme il le pouvait la douleur de son amie qui perdait lentement connaissance. Mais Ivona et Johan avaient tellement leur attention tournée vers elle, qu’ils ne virent pas Emely se relevait. Elle crépitait toujours d’énergie. Mais le sort d’Anasteria semblait l’avoir blessé.

 

— Vous… siffla-t-elle. Je vais tous vous détruire. Tous !

 

Elle ne put mettre ses menaces à exécution. Un javelot de glace tomba du ciel, mais Emely l’esquiva d’un pas en arrière. Lorsqu’il heurta le sol, de la glace se répandit tout au centre, créant des cercles de pics. Emely parvint à en détruire une partie, mais l’un d’eux toucha la jambe de l’adolescent qui cria de douleur. Ivona et Johan virent alors Voxana, accompagnée des deux magistères Pavus et Kaeso, arriver à quelques mètres d’eux. Ivona n’avait jamais vu sa mère réaliser un sort de magie. Et elle comprenait désormais pourquoi elle possédait la réputation d’être l’une des plus grandes mages. Elle irradiait de puissance comme un soleil irradie de lumière. L’aura de sa fusion se propageait si loin autour d’elle qu’Ivona pouvait sentir le froid caresser sa peau. Sa mère se prépara à un nouveau sort, mais Emely comprenait qu’elle n’avait désormais aucune chance. L’adolescente les fixa, et en un battement de cils, elle se mit à courir dans la direction opposée. Sa célérité lui permit de prendre ses distances, mais les magistères ne la suivirent pas. Au lieu de ça, Pavus se précipita vers le trio d’adolescents pour constater les blessures.

 

— Par Aulus, que s’est-il passé ?

— On a été attaqué, répondit Johan.

— Vous ne devriez pas être là, siffla Voxana.

— On en discutera plus tard, s’exclama Ivona. Ana a besoin de soin !

— Est-ce que vous savez où se trouve Laurène De Vila ? demanda Pavus.

 

Johan pointa doucement le cadavre de l’abomination qui un jour fut Laurène. Pavus soupira et secoua la tête.

 

— Pauvre fille, murmura-t-elle.

— Allons, intervint Kaeso. Repartons d’ici au plus vite. Elle a besoin de soin, et nous ne devrions pas rester là. On ne sait pas ce qui va nous attaquer.

— Bien, répondit Pavus. Partons.

 

Kaeso porta Anasteria qui avait définitivement sombré dans l’inconscience. Ivona la regarda partir le cœur lourd. Certes, elle avait quelques bleus et coupures, mais elle ignora facilement la douleur, tout ce qui lui importait à ce moment-là, c’était Anasteria. Elle accepta la main de Pavus pour se relever. Elle ne lâcha du regard son amie que pendant une demi-seconde pour voir celui de sa mère, glaciale et méprisante comme à son habitude. Mais pour une fois, il n’atteignit pas Ivona qui se contenta de l’ignorer purement et simplement. Elle savait bien sûr que sa mère ne laisserait pas cela passer, mais elle s’en moquer. Après ce qui s’était déroulé ici, rien de ce qu’elle pourrait dire n’allait l’atteindre.

 

 

 

 

 

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