Épisode 02 : Les xylothermes chapitre 04

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Chapitre 4

Après la fin mouvementée de ce qu’on nommera difficilement une « nuit », nos aventuriers repartirent sur les chemins en direction d’Arbone. Évrard avait encore du tonifiant à donner aux chevaux, et comme il l’avait annoncé, à cette vitesse, ils seraient arrivés le soir même, peut-être avant.

« Et qu’est-ce que ça change, ces xylomachins ?

– S’ils se répandent dans une ville, nous sommes mal…

– Bah ! Y’a bien des soldats pour s’en occuper !

– C’est bien ce que je dis, c’est moi qui vais devoir faire tout le boulot ! »

Louwet plaça sa tête entre les deux hommes.

« C’est dangereux, les xylothèmes ?

– Xylothermes. Non, c’est pas très dangereux, et de toute façon, ils ne quittent que rarement les caves où ils vivent, d’habitude… Quelqu’un a dû prendre leur place. »

Il ajouta, plus bas :

« Probablement des gobelins, ou pires.

– Pire ? demanda Silyen, qui commençait à s’habituer au cahot de la route et vomissait moins souvent.

– Des orcs, par exemple. »

Walcaud se tourna vers la sirène.

« Ça ne te dit rien ? »

Elle haussa les épaules tout en se curant le nez avec un de ses tentacules.

« Il y avait deux petits clans d’orc il y a longtemps, mais notre matriarche les a exterminés ! répondit-elle fièrement.

– Alors, ce sont peut-être de nouveaux orcs, générés par les dieux… ou c’est encore autre chose. »

Ces derniers mots jetèrent un froid. Autre chose que des orcs, et pire ? Cela n’annonçait rien de bon.

Leurs craintes furent confirmées quand ils arrivèrent en vue d’Arbone. Une colonne de fumée se dégageait de la ville sise sur une colline.

Ils s’y précipitèrent. Plusieurs bâtiments brûlaient. Les flammes dévoraient les poutres, les toits s’effondraient avec fracas. Les xylothermes, au milieu, regardaient les crépitements avec leurs yeux de charbon, une lueur de satisfaction brillant dans leur regard dénué d’intelligence.

« La ville… Arbone… Arbone est attaquée ! Ma fille, je dois aller sauver ma fille ! » s’exclama Évrard. Il s’élança avant d’être rattrapé par Walcaud.

« Attends un peu !

– Mais ma fille est probablement là-dedans, en train de rôtir comme une saucisse de Syagria ! Je vais la chercher !

– Ça ne servirait à rien, tu vas juste te faire griller sur place ! »

Ils conduisirent la carriole derrière des taillis, à l’abri des regards. Les monstres ne les avaient pas encore repérés.

« Ces êtres sont énervants car ils mettent le feu partout, mais ils sont assez lents et pas très forts tant qu’on ne les touche pas. Les habitants ont dû avoir le temps de fuir.

– Comment tu peux en être sûr ?

– On sentirait une odeur de chair brûlée, si des gens étaient morts. »

Un frisson s’empara d’Évrard.

Pendant qu’ils discutaient, un groupe de xylothermes s’approchait, mécontent de voir des intrus sur leur terrain de chasse.

« Et comment on doit se battre contre ces trucs ? demanda Évrard.

– Il faut les ouvrir en deux pour que les braises à l’intérieur de leur corps s’éteignent, mais ce n’est pas facile ! Attention, ils crachent aussi du feu.

– Peuh, ils sont tout petits, ce sera facile ! 

– Ça se voit que c’est pas toi qui va te battre contre eux ! Restez vers la carriole, on s’en occupe ! »

Il siffla pour attirer leur attention, puis tira deux traits avec son arbalète, qui firent mouche mais furent insuffisants pour les stopper. Les paumes pointées vers les monstres, il incanta un sort de vent assez puissant pour éteindre les braises sans les aviver.

Silyen n’était pas en reste. Avec ses tentacules, elle jetait à cadence rapide des pieux sur ses adversaires. Quand elle en avait planté deux, elle utilisait ses mains pour leur ouvrir le torse et amener leurs entrailles de bois à l’air libre, les laissant agoniser tranquillement pendant qu’elle s’occupait des autres.

« Eh bien… » marmonna Évrard en regardant la scène. « Ils sont tellement violents qu’on va finir par être touché par une braise ! Hein petite ? »

Le vieux marchand se retourna, il n’y avait personne à ses côtés.

« Petite ? »

Walcaud en avait éliminé quatre à lui tout seul. En tant que soldat d’élite, il avait l’habitude des combats prolongés, moins du manque de soutien.

« Ça doit être le dernier. »

Son souffle était court. Le sort de soin qu’il avait lancé l’avait exténué.

Un petit xylotherme, profitant de la confusion et de la fumée, lui sauta au visage. Walcaud eut tout juste le temps de lui tirer un carreau dans le bras pour l’éloigner.

Le monstre était surexcité. Des étincelles jaillissaient de sa bouche, la bûche qui constituait son torse attisait ses charbons ardents par une respiration saccadée, brusque et violente. Walcaud n’avait plus assez de magie pour le repousser avec un sort éolien.

« Silyen, est-ce que tu peux… »

Il ne termina pas sa phrase quand il vit que Louwet s’approchait du xylotherme par-derrière, pensant ne pas être vue et trainant un seau derrière elle.

« Non, idiote, c’est très dangereux, ils peuvent cracher du feu ! »

Le monstre de bois et de feu se retourna, contractant son torse et préparant à cracher l’enfer.

Louwet, sans se démonter, lui envoya le contenu de son seau d’eau en pleine figure. Le xylotherme s’effondra dans un fracas de craquements et de fumée opaque.

« C’est qu’elle se débrouille, ma petite Vulpès aux cheveux d’argent ! » s’exclama Silyen en l’ébouriffant.

« Faudra quand même qu’on en parle, mais plus tard ! déclara Walcaud en faisant la moue.

– Oui, éteignons le feu, pour commencer ! » ajouta Évrard.

Seuls quelques bâtiments étaient en flammes. Les xylothermes n’étaient qu’une douzaine, et leur petite taille limitait les dégâts.

« C’était pas si pire ! » déclara Évrard en s’épongeant le front. Le vieillard avait retrouvé de l’entrain, rassuré qu’il était, car la maison de sa fille était intacte, et il n’y avait aucun corps dedans.

« Imagine s’il y en avait eu cent, deux cents, trois cents ! Un nid, c’est deux cents individus, et on en a tué treize. Quatorze avec celui de la rivière.

– C’est donc que les autres…

– Sont partis à la poursuite des habitants. Il faut les retrouver ! »

Ils cherchèrent dans le village. Les habitants avaient fui dans la précipitation. Les portes étaient encore ouvertes, les chaudrons encore fumants au milieu des tables où la vaisselle était à peine dérangée.

« Là, il y a des traces ! » s’exclama Louwet.

Walcaud, qui voulait passer pour un expert, se pencha dessus.

« Ces traces sont mélangées, on peut voir qu’il y a eu de la confusion, mais elles pointent toutes vers la même direction ce qui veut dire…

– Qu’ils sont partis par là. Pas la peine de crâner. », le coupa Évrard.

Il lui donna une tape sur l’épaule et ils s’avancèrent sur le chemin.

Leur investigation ne fut pas longue : au bout dudit chemin se trouvait une doline, fruit de l’effondrement d’une ancienne nappe phréatique que l’irrigation avait vidé.

La population était réunie au centre, environ deux mille personnes, femmes, hommes et enfants, majoritairement des vulpès, mais aussi des humains et quelques elfes. Ils ne devaient pas s’y trouver depuis plus que quelques heures. Une tête froide avait compris la situation et prit des mesures d’urgence, car personne ne paniquait — pour le moment, mais quand les vivres et l’eau seraient épuisés, la situation deviendrait critique.

Les xylothermes les avaient suivis. La pente était trop abrupte pour qu’ils descendent, et les citadins avaient retiré les échelles. Pour autant, ils ne partaient pas. Ils erraient sans buts sur le rebord dans l’espoir de trouver un passage.

Le petit groupe de Walcaud s’avança prudemment et se cacha derrière une rangée de chênes.

« Là, ils sont là ! s’exclama Évrard.

– Chut, je sais, mais tu vas les attirer vers nous !

– Je vois ma fille ! Elle est juste en bas !

– D’accord, d’accord, mon vieux, mais arrête de gueuler ! On va vraiment se faire repérer !

– Qu’on se fasse repérer ou pas, qu’est-ce que ça change ? On va pas les affronter ?

– Ça va être compliqué, expliqua Walcaud, ils sont cent cinquante !

– Ah bah, pour un soldat d’élite, ça flippe dès qu’il y a un peu de nombre ! marmonna Évrard.

– Ouais, c’est pas grand-chose, on va les défoncer, ajouta Silyen.

– Je vous signale qu’il faudrait un bataillon entier pour s’en débarrasser !

– Dis tout de suite que tu ne vas pas faire d’effort ! »

Walcaud poussa un profond soupir.

« Il faut qu’on réfléchisse à un plan…

– Si c’est toi qui t’en charges, on en a pour la journée ! » s’écria Évrard.

Le marchand se retourna vers Silyen et la dévisagea un moment.

« Et si on s’y met tous, alors on en aura pour la semaine ! »

Walcaud commença par observer le terrain et dessiner une carte rudimentaire au sol. Au sud de la doline, il y avait des champs irrigués, que les nouveaux seigneurs avaient fait construire à grands frais pour augmenter la surface des terres rentables. Ces champs étaient délimités par la forêt à l’ouest. Des norias dans la rivière apportaient l’eau jusqu’aux canaux.

« Je ne vois pas quoi faire… et je n’ai pas assez de magie pour les bombarder de sort !

– Je peux leur lancer des pieux ! abonda Silyen.

– Et ? Tu ne vas pas en lancer cent cinquante à la fois, on sera réduit en cendres avant d’avoir pu tous les abattre. Et je doute que tu sois capable de viser juste à chaque fois.

– Et en plus, il faut plusieurs coups pour en tuer un seul ! » abonda Évrard.

Silyen croisa les bras, avança ses lèvres en avant, et leur tourna le dos pour bouder.

Louwet, à quatre pattes, observait le plan avec attention. Il devait y avoir un moyen… sa queue de renard s’agitait de droite à gauche tandis qu’elle réfléchissait.

« Et si on les noyait ? Si on les plonge dans l’eau, ils seront détruits, proposa-t-elle.

– C’est une idée, mais comment faire ? On ne peut pas les attirer jusqu’à la rivière sans prendre le risque qu’ils nous rattrapent.

– On peut… amener l’eau jusqu’ici ? Je connais ces canaux, on peut les bloquer pour que l’eau aille tout droit.

– Elle se répandrait alors sur le sol, ce ne serait pas suffisant pour noyer des xylothermes… il faudrait immerger au moins la moitié de leur corps.

– Mais si on utilise la doline ? Si l’eau arrive dans la doline, elle pourra monter jusqu’à les noyer. »

La petite fille avait bien réfléchi à son plan. Sourcils froncés, Walcaud croisa les bras et la regarda avec gravité :

« Je vois que tu as réponse à tout, mais ça implique deux choses. D’une, il faudrait que les xylothermes se trouvent dans la doline, où se trouve aussi la population. Et surtout, il faudra quelqu’un pour guider les xylothermes jusqu’en bas, ce qui est très dangereux…

– Je le ferais. », répondit Louwet du tac au tac.

Walcaud la fixa sans rien dire. C’était plus que dangereux, surtout pour une fillette de dix ans.

« Je ne veux plus voir de village détruit par les monstres ! » dit-elle finalement en serrant le bas de sa jupe avec ses petits poings.

La détermination dans les yeux de la fillette acheva de le convaincre.                                                              

 « D’accord. Tu vas descendre avec Silyen pour guider les xylothermes. Moi et Évrard, on ira relancer les norias.

– J’imagine qu’on a pas le choix ! » grommela le marchand.

Walcaud, anxieux, chargea son sac sur son dos.

« Ne t’en fais pas, dit Silyen, il ne lui arrivera rien. »

À l’aide d’un de ses tentacules, elle sortit un glaive du sac de Walcaud.

« Je te le promets. »

Walcaud hésita encore un peu à partir, mais il fut tiré par Évrard.

« Allez, on se dépêche ! Il faut d’abord vérifier que tous les canaux vont dans le bon sens ! »

Par de grands gestes, Silyen et Louwet attirèrent les xylothermes. Ces petits monstres avaient l’air vifs, mais ils étaient assez lourdauds. Le temps qu’ils arrivent, elles cherchèrent près de la doline un chemin dans les failles de la roche.

Louwet progressait contre la paroi, le vide à ses côtés, enjambant les pierres et se tenant aux lierres pour ne pas tomber. Sa queue de renard lui servait de balancier ; et avec ses longues oreilles, elle entendait le vent le plus faible siffler contre la roche. Elle adaptait ses pas en conséquence. Les xylothermes la suivaient en rang d’oignon. Silyen, avec ses tentacules, escaladait la paroi plus directement, en s’accrochant aux arbustes qui poussaient entre les interstices. Les monstres ne pouvaient la poursuivre ainsi, et c’était son principal avantage comme son principal inconvénient, car elle ne pouvait les guider jusqu’en bas.

Plus rapide que Louwet, elle l’avait dépassé et remarquait que les xylothermes progressaient à la queue leu leu et dans une position délicate.

« Eh, pourquoi on se fait chier ? Ils sont vulnérables ! »

Avec une paire de tentacules, elle tira sur une racine et fit s’effondrer un pan de la paroi, entrainant une demi-douzaine de xylothermes qui s’écrasèrent avec fracas au fond de la doline.

« Stop ! » lui cria Louwet.

Les xylothermes s’étaient arrêtés. Ils hésitaient à continuer.

« Si tu les attaques maintenant, ils ne vont plus nous suivre ! » s’exclama Louwet.

La population en contrebas l’avait remarqué, inquiète et étonnée de voir une petite Vulpès se diriger vers eux.

« Quelqu’un essaye de nous rejoindre !

– Des secours ?!

– Non je ne pense pas, c’est une gamine ! »

Les regards rivés sur Louwet, ils retinrent leur souffle quand elle manqua de tomber.

« Attendez, elle est en train d’attirer les monstres !

– Elle ne les a peut-être pas vus ! 

– J’en doute ! Regardez ses cheveux gris argent… c’est une pestiférée !

– Et il y a une sirène avec elle ! Elle est de mèche avec des monstres ! »

Silyen descendit encore un peu afin d’être à portée de voix.

« Non, attendez ! Nous attirons les xylothermes au fond de la doline pour les noyer !

– Pour les noyers ?! Et nous alors ? vous voulez nous noyer aussi !?

– L’eau ne va pas monter à plus d’un mètre, personne ne sera en danger !

– Et si l’eau n’arrive pas ? Vous allez tous nous tuer !

– Ouais, pourquoi on croirait une sirène ? Toi aussi t’es un monstre !

– T’es avec la petite fourrure d’argent pour causer notre perte ! »

Une pierre la manqua de peu. Elle dut remonter en catastrophe.

« Ouais, c’est ça, barre-toi ! »

Le cœur de Louwet se serra quand elle entendit les cris. Depuis qu’elle était avec Walcaud, elle avait presque oublié sa condition. Face à la foule, elle était pétrifiée.

L’agitateur se préparait à envoyer un nouveau projectile quand une vulpès arrêta son bras. Elle était petite, et avait une énorme tignasse sur la tête, en plus de porter une salopette d’artisan. Sa queue de renard était couverte de fourrure cassis sombre.

« Arrête, débile ! Tu vois bien que c’est notre seule chance !

– Mais, Hoarielle, c’est une fourrure-grise et ils guident les monstres vers nous.

– Tu préfères mourir ici ?

– Non, je…

– Alors, laisse-les faire ! »

Il serra les dents et baissa son bras.

Les xylothermes étaient agités. Ils voyaient enfin le bout du chemin et comprenaient qu’ils allaient pouvoir tout brûler.

L’un d’entre eux, plus grand que les autres, poussa un cri. Plus qu’un cri, il faisait circuler de l’air dans son torse pour attiser ses braises et cela produisait un sifflement strident. Il vomit un enfer de flammes pourpres dans la direction de Louwet.

Dans un mouvement de désespoir, elle agita les mains pour se protéger le visage, lâchant les racines auxquelles elle se tenait.

Silyen était trop loin pour lui venir en aide. Ses tentacules tendus au maximum, elle ne put empêcher sa chute. La fillette allait s’écraser en contrebas.

« Louwet ! » cria Silyen.

Hoarielle bondit hors de la foule. Malgré son petit gabarit, elle était rapide, et elle rattrapa Louwet avant qu’elle ne touche le sol.

« Ça va ?

– Oui… » murmura Louwet.

Elle sentait Hoarielle la serrer dans ses bras. Elle n’osa pas bouger. C’était la première fois, dans ses souvenirs, qu’une autre vulpès la touchait sans lui porter un coup.

« Écartez-vous tous de la paroi, on va lâcher la flotte ! » hurla Silyen. À l’aide de ses tentacules, elle jeta un pieu au bout duquel elle avait attaché un tissu noir.

De l’autre côté des champs, Walcaud et Évrard étaient encore en train d’inspecter les norias.

« Écoute, mon garçon, c’est pas toi qui vas m’apprendre comment fonctionne une roue à aubes ! C’est pas avec un travail de cochon pareil que tu obtiendras un bon rendement !

– Depuis quand tu t’y connais en roue à aubes ? Je croyais que ton domaine, c’était la vente de bibelot !

– C’est pas des bibelots, petit con !

– De toute façon, on s’en fout du rendement, on a juste besoin de… ah ! voilà le signal ! »

Walcaud sauta à pieds joints sur un levier, libérant d’un coup le mouvement des roues. Une véritable vague dévala la pente des canaux de bois, et quand elle buta contre l’extrémité des champs, elle se déversa en cascade dans la doline.

La panique se répandit parmi les xylothermes. L’eau pénétrait dans leurs interstices. Les flots les projetaient contre les pierres et leur bois éclatait à cause de la chute brutale de température. Les plus chanceux tentèrent de se mettre à l’abri au centre, mais les habitants, ragaillardis par la tournure des évènements, les repoussèrent avec des bâtons.

Le niveau d’eau ne leur arrivait pas à la taille que tous les monstres avaient péri. Silyen signala la fin des combats, et les norias furent arrêtées à nouveau.

« On a survécu ! » s’exclamèrent les citadins, portant Louwet et Silyen en triomphe.

« On va fêter ça ! » ajouta le paysan qui quelques instants plus tôt avait tenté de les lapider.

« Qu’on retourne au village et qu’on sorte les meilleures bouteilles !

– On va aussi griller dix cochons entiers !  Non, vingt !

– C’est probablement déjà fait ! » s’exclamèrent d’autres citadins en rigolant.

« Il… il n’y a pas que nous ! » tenta Louwet.

La foule heureuse sortit de la doline dans une ambiance de fête. Ils retrouvèrent Arbone, en meilleur état que ce qu’ils imaginaient, et en apprenant que les aventuriers avaient aidés à éteindre l’incendie, ils ne purent tarir d’éloges à leur égard.

Évrard et Walcaud les attendaient sur la place centrale. Le mercenaire, qui n’était pas timide quand on le complimentait, était aux anges. Aux yeux des jeunes filles de la ville, il brillait comme un héros magnifique, et il comptait bien en profiter. Quant au marchand, il cherchait sa fille.

« Hoarielle ! » s’écria-t-il quand il la vit, et il la prit dans ses bras.

« Papa, qu’est-ce que tu fais ici ? demanda la jeune femme.

– Je voulais te rejoindre depuis quelques jours, mon départ a été délayé à cause des monstres ! J’ai enfin trouvé une solution… »

Il expliqua toute la situation à sa fille, de son attente dans la taverne de Bréhant, sa rencontre avec Walcaud jusqu’à l’arrivée à Arbone. Hoarielle l’écoutait, les bras croisés et les sourcils froncés.

« Attends, tu me dis que tu as fait tout ce foin et as embêté une pauvre petite fille juste pour venir me voir ?

– Mais ma puce, je… je… » tenta de s’excuser le vieux marchand.

« Allons, sans ça, on ne serait jamais arrivé à temps pour sauver la ville, dit Walcaud, une jeune femme à chaque bras.

– C’est pas faux… mais quand même. », répondit Hoarielle.

« Je sais ! Viens avec moi petite ! »

Elle entraîna Louwet par la main vers le quartier des artisans. Walcaud ne put la suivre, car il se voyait saisi par les tentacules d’une Silyen fort marrie de son comportement volage.

L’atelier de Hoarielle était rempli de balles de cotons, de peaux, de tissus en tout genre et surtout de fils, d’aiguilles, bref, de tout le nécessaire pour coudre.

« Tu aimes les peluches ? demanda l’artisane pendant qu’elle fouillait dans un coffre.

– O... oui. Mais à Savara, c’est trop cher.

– Je sais, car c’est ici qu’on les produit, moi et mes assistantes ! Et celles de Savara sont vraiment pas terribles si tu veux mon avis ! »

Elle sortit enfin une grosse peluche représentant un homme-chat grassouillet aux cheveux longs portant une cape rouge, arborant une face ronde et joviale avec un grand sourire béat.

« Puphlune !

– Le dieu de la fête et des mandragots ! Tu connais ? C’est ma dernière création. Elle est à toi ! 

– C’est vrai ?! »

La fillette s’empressa de serrer sa peluche contre elle. Elle était toute molle, toute douce !

« Même si tu la serres fort, elle reprendra toujours sa forme initiale ! indiqua Hoarielle.

– Merci ! Merci beaucoup ! »

Le soir même, un grand banquet fut organisé par les habitants.

Le feu ayant laissé un mauvais souvenir, on s’éclairait uniquement avec des pierres magiques, chères et rares et qu’on utilisait surtout en cas d’urgence. Leur faible lumière bleue, jaune, rouge, verte, projetait des moires sur les visages des joueurs de flute et de tambourin.

Des enfants jouaient avec Louwet. En majorité des petits humains et des mandragots, mais quelques vulpès osaient s’approcher d’elle. Courant dans tous les sens, ils s’amusaient à faire des ombres chinoises. Hoarielle leur avait donné des patrons de sa confection. Au milieu d’un cercle de vieux ouvriers déjà bien éméchés, Silyen descendait cul sec un tonneau entier de bière.

À l’écart, Walcaud regardait la scène, accoudé contre le comptoir.

« Elle est mignonne, ta fille. Comment elle s’appelle, déjà ?

– Tu veux vraiment t’en prendre une ? répondit Évrard.

– Allons, on a quand même fait beaucoup plus que notre contrat de base ! »

Évrard poussa un soupir et fouilla dans ses poches.

« Voilà la clef de ma chambre. Tu transmettras mes amitiés à Bréhant.

– Mouais, j’aurais aimé une petite récompense supplémentaire ! »

 

Le retour se fit plus long, car les chevaux dopés d’Évrard n’étaient plus à disposition, mais selon Silyen, c’était pour le mieux. Elle n’eut à vomir que deux fois, quand Walcaud accéléra la cadence pour amuser Louwet.

L’aller-retour leur avait pris une semaine entière. Ils rentrèrent à la taverne fatigués de leurs aventures, mais heureux d’avoir enfin obtenu ce pour quoi il l’avait commencé.

« J’étais persuadé que tu t’étais fait arrêter ! s’exclama Timar, une chope à la main.

– Et sur quels motifs !?

– Enlèvement d’enfant.

– Je t’ai déjà dit que Louwet était avec moi par décision de la duchesse ! 

– Allons, coupa Bréhant, ne vous battez pas à peine rentrés. Regardez, un client venu des royaumes tervinges m’a laissé une nouvelle recette, vous m’en direz des nouvelles ! »

La vue des assiettes suffit à faire retomber la tension. Les panzerottis étaient des chaussons frits garnis de mozzarella, de jambon, de purée de tomate, d’huile d’olive et de câpres. Louwet les engloutit en un rien de temps. Repue, elle somnolait sur sa chaise.

« Je crois qu’il est temps d’aller dormir… dans notre nouvelle chambre ! » s’exclama Walcaud, tout content.

Silyen souleva la petite Vulpès avec ses tentacules, et ils montèrent à l’étage. L’ancienne chambre d’Évrard était la plus vaste de l’auberge : trois pièces, dont une salle d’eau et une penderie. Chacun son lit ! Enfin des nuits paisibles !

« Euh, y’a pas comme un problème ? » demanda Walcaud, alors qu’ils étaient toujours trois dans la même couche.

« J’aime bien dormir avec toi… » murmura Louwet, lovée contre lui. « Je ne peux pas rester ? » demanda-t-elle, le fixant avec ses pupilles orangées.

« Euh, bon, mais ce soir seulement ! Et toi, tu peux dégager ! » dit-il à Silyen, qui dormait déjà, la bouche ouverte et un filet de bave qui en sortait.

« Juste… pour… cette nuit… » dit-il en serrant les dents.

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